jeudi 28 juin 2018

INTRÉGRATION PROFESSIONNELLE : QUÉBEC, PAYS D’ÉCUEILS (PARTIE III)


Des professionnels déçus
Ces professionnels font partie des plus de 95 200 immigrants accueillis par la province entre 2014 et 2016. Trois années plus tard, ils développent pour la plupart un sentiment de déception. Ils regrettent d’avoir quitté leur pays, leurs parents et leurs amis, mais surtout leur emploi, qui leur garantissait une stabilité financière. Ce qui leur fait défaut aujourd’hui, en dépit de la richesse incontestable du Québec. « Il est vrai que j’ai pu fuir le climat politique instable et non sécuritaire de mon pays, mais je suis totalement déçue d’avoir abandonné ma carrière professionnelle fructueuse », dit Valéry Pierre-André. 

« Je sais quand cela a commencé, mais j`ignore combien de temps durera cette incertitude », ajoute l`ancienne employée du secteur de la santé en Haïti. Elle fait aussi référence à des amis et collègues qui vivent « la même situation ». Même écho chez Ronald Justin qui déclare être « agacé » quand les employeurs parlent d’expérience québécoise pour « bloquer l`accès au marché du travail aux nouveaux arrivants ». « Je dis toujours aux recruteurs : l’expérience québécoise ne saurait être acquise qu’au Québec. Donnez-moi la chance de commencer.» 

En sa qualité de travailleur qualifié, Tony Francky s’attendait à bénéficier des services d’organismes capables de faciliter son intégration professionnelle, en vue de valoriser ses compétences. « C’est comme si les expériences que j’ai acquises pendant plus de dix ans ne sont pas transférables. C’est une déception totale. » Il déplore que ses savoirs et ses diplômes ne soient plus pris en compte, « comme c`était le cas lors de l’évaluation du dossier ». 

L’intégration, un long processus  
Maison d’Haïti, un organisme communautaire qui travaille pour l’intégration des personnes immigrantes, est consciente des difficultés d’intégration des immigrants haïtiens. Selon Marjorie Villefranche, sa directrice générale, la communauté haïtienne a enrichi le Québec de nombreux professionnels. Plusieurs se sont illustrés par leur travail et leur talent, mais nombreux sont ceux qui peinent encore à tirer leur épingle du jeu. 

« Malgré les succès connus par une grande partie de cette communauté, beaucoup d`Haïtiens éprouvent d'énormes difficultés d'intégration et se retrouvent parmi les citoyens les plus pauvres de la société québécoise », écrit Mme Villefranche sur le site internet de Maison d’Haïti. Arrivée au Québec en 1964 à l’âge de 12 ans, elle reconnait que la nouvelle vague d’émigration des Haïtiens vers le Québec est bel et bien différente de la première, « caractérisée par des débuts d’intégration peu complexes et une insertion harmonieuse ».

Le professeur Jean Fils-Aimé a immigré au Québec à 19 ans. Il indique que l’intégration est loin d’être une partie de plaisir pour quelqu’un dont le statut professionnel est déjà assuré. « Les professionnels sont les pires immigrants. Leurs attentes sont souvent si énormes qu’ils ne comprennent pas la nécessité d’une période de transition pour affûter ce statut qu’ils avaient dans leur pays d’origine, qui doit être mis à niveau. » 

Pour Jean Fils-Aimé, qui détient un doctorat de la faculté de théologie de l’Université de Montréal, l’immigration s’arrête au point d’entrée, tandis que l’intégration est un processus à long terme. Dans son intervention à la troisième édition du salon de l’emploi d’Éducomax, le professeur explique différentes étapes à partir desquelles tout immigrant arrive à prendre sa place dans la société d’accueil : « Comprendre la culture et les valeurs de la société, faire preuve d’ouverture d’esprit, avoir un projet professionnel, aller à l’école, se préparer au changement, faire du réseautage ». Pour lui, l’art du réseautage fait souvent défaut aux immigrants haïtiens.

 « Ici au Québec, qui vous connaissez peut mieux faciliter votre intégration que ce que vous savez », disait l`un de ses professeurs quand il venait d’arriver au pays. Intervenant dans un panel de quatre experts en immigration, Jean Fils-Aimé indique que le nombre d’années passées au Québec n’est pas la condition nécessaire et suffisante pour réussir son intégration. Le succès, selon lui, est lié à la capacité d’ouverture de l’immigrant pour comprendre la culture québécoise et de s’y adapter. Ainsi invite-t-il les nouveaux arrivants à élaborer un projet professionnel qui tient compte des besoins du marché. Ils doivent aussi être prêts à l’ajuster à l’environnement dynamique de la Belle province.

Tout compte fait, l’intégration des immigrants au marché du travail demeure un facteur déterminant de la réussite d’une intégration plus globale à la société d’accueil. Or, cela représente la principale pierre d`achoppement des professionnels haïtiens immigrés au Québec pendant les trois dernières années. Ces travailleurs qualifiés, qui font partie des 40 % d’immigrants au Québec détenant un grade universitaire, vivent dans des conditions socioprofessionnelles précaires. 

L’absence d’un emploi stable, en lien avec leurs compétences, un faible revenu, le stress et la déception font partie de leurs défis quotidiens. Ayant vécu des expériences d’intégration difficiles et douloureuses, ils développent des perceptions négatives au sujet de l’immigration et demeurent par conséquent craintifs quant à leur avenir socioprofessionnel. 

Pourtant, le gouvernement du Québec entend être plus que jamais ouvert aux travailleurs qualifiés. Dans un document présentant les orientations retenues quant aux seuils d’immigration pour la période 2017-2019, la province prévoit diminuer les taux de chômage chez les nouveaux arrivants, toujours beaucoup plus élevés que dans la population générale. Ce, pour une « participation accrue des personnes immigrantes à la société ».

samedi 23 juin 2018

INTRÉGRATION PROFESSIONNELLE : QUÉBEC, PAYS D’ÉCUEILS (PARTIE II)


Le grand défi de l’intégration
L’accès à un emploi reste l’une des meilleures façons de bien s’intégrer dans une société. En trouver un qui répond à leurs attentes : voilà le grand défi des travailleurs qualifiés. Éducomax, un organisme qui intervient dans le domaine de l’intégration professionnelle des nouveaux arrivants, n’en disconvient pas. 

C’est dans cette perspective qu’il organise au moins deux fois l’an le Salon de l’emploi, de la diversité et de l’intégration. En lançant l`édition de mai dernier, François Jean-Denis, PDG de l’institution, montre que cette initiative répond à un besoin réel relativement à l’accès au marché du travail de la clientèle visée. 

« Éducomax se positionne plus que jamais comme le carrefour d’informations des nouveaux arrivants et de tous ceux qui veulent réussir. Il leur donne la possibilité d’être conseillés, orientés et accompagnés par des acteurs professionnels. Ces derniers leur offrent des services et des renseignements utiles pour faciliter leur intégration », lance M. Jean-Denis dans son discours d’ouverture.

Ronald Justin, arrivé parmi les 2 859 Haïtiens admis au Québec en 2014, considère le discours du PDG comme un vœu pieux. Pour avoir participé à près d’une dizaine d’activités du genre, l’étudiant en maîtrise en gestion publique à l’École nationale d’administration publique (ENAP) estime qu’elles sont stériles. « Beaucoup d’activités, beaucoup de déplacements et beaucoup d’efforts pour des résultats pratiquement nuls », se désole-t-il, après sa participation au Salon du 27 mai 2017 d’Éducomax. 

M. Justin, qui souhaite terminer sa maîtrise pour retourner en Haïti, ne cache pas sa déception : « Je m’attendais à avoir la possibilité de travailler et d’étudier en même temps. Mais la réalité est que je devais choisir un emploi en dessous de mes capacités. Alors, j’investis sur le long terme en contractant des prêts pour étudier. »

Le visage affligé des immigrants
Ronald Justin, père de deux enfants, dont la plus jeune est née l’année dernière au Québec, souligne les contraintes pour concilier travail, études et famille avec flexibilité. « Dans ma ville natale où je bénéficiais du soutien de mon entourage familial et de l’aide d’une femme de ménage, ma femme et moi enseignions au secondaire. 

De plus, j’étais cadre dans un bureau régional du ministère de l’Économie et des Finances », explique cet homme détenteur d’une licence (l’équivalent d’un baccalauréat nord-américain) de l’Université d’État d’Haïti.

Le visage affligé, cet ancien cadre de la fonction publique haïtienne se rappelle ses différentes expériences professionnelles, ses diverses sources de revenu et le « style de vie » qu`il avait en Haïti. « Mon immigration au Canada n’est nullement liée au contexte interne du pays [Haïti], à savoir les facteurs économiques et politiques. C’est beaucoup plus lié à la tendance, la politique migratoire du Québec, qui attire des professionnels qualifiés vers son territoire ». 

Ronald reconnait avoir été influencé par le vent du vaste mouvement migratoire des professionnels haïtiens vers l`Amérique francophone. Une destination de plus en plus convoitée et une immigration extrêmement diversifiée.

Le mythe de la réussite au Québec s’est créé chez beaucoup d’Haïtiens, basé sur l`adaptation relativement facile des premiers immigrants haïtiens. Un rêve est donc apparu: la possibilité de s’installer plus facilement au pays de la Révolution tranquille, compte tenu de la parenté  linguistique existant entre les deux peuples. 

« Les informations véhiculées sur le programme des travailleurs qualifiés laissaient croire que chaque immigrant devait atteindre son plein potentiel. J’y croyais fortement ! C’est la raison pour laquelle nous avons tout laissé pour être ici aujourd’hui », ajoute la femme de M. Justin, Germanie Pierre-Charles, enseignante et diplômée en sciences de l`éducation, qui l’accompagnait à l’entrevue.

jeudi 14 juin 2018

INTRÉGRATION PROFESSIONNELLE : QUÉBEC, PAYS D’ÉCUEILS (PARTIE I)




Des professionnels haïtiens qui ont laissé leur terre natale pour des raisons diverses, dont l’instabilité politique et l’insécurité, se trouvent désormais confrontés à de nouveaux défis liés à leur intégration socioprofessionnelle au Québec. Entre la ferme décision de quitter le pays d’origine et la réalité qu’ils vivent au pays d’accueil, la déception est grande. Témoignages et confidences de professionnels, arrivés au Québec pendant les trois dernières années.


Le Québec a développé une tradition d’accueil qui ne se dément pas. Après l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta, il présente l’un des pourcentages de population immigrante les plus élevés au Canada. 

Dans sa politique d’immigration, la Province met en place plusieurs catégories d’immigration, dont le programme des travailleurs qualifiés. Celui-ci établit des critères liés notamment aux compétences professionnelles et au niveau d’éducation des candidats. 

Or, les professionnels haïtiens immigrés dans le cadre de ce programme s`exposent à une double pénalité : la dévalorisation à la fois de leurs formations et de leurs compétences (expériences). Ce qui provoque une dévalorisation de leur statut, aussi bien sur le plan social que professionnel.


Tony Francky peine actuellement à trouver un emploi dans son domaine de compétences et de formation, même après avoir complété une attestation d’étude collégiale (AEC) en gestion comptable et financière et un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en planification territoriale et développement au Collège Ahuntsic et à l’Université du Québec à Montréal respectivement. 

Arrivé au Québec en 2014, il s’est vite inscrit au collège de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, en vue de démarrer trois mois plus tard une formation, et de bénéficier ainsi du programme de prêts et bourses du gouvernement. En poursuivant aujourd’hui sa recherche d’emploi, il se questionne sur les raisons de sa présence dans cette province qui accueille annuellement 50 000 immigrants.


« Contrairement à beaucoup d’autres compatriotes, je n’ai pas laissé Haïti pour des raisons économiques », explique M. Francky, 40 ans, qui percevait un « bon salaire dans l`une des grandes organisations non gouvernementales présentes en Haïti».  

De manière générale, l’immigration haïtienne est motivée par la recherche d’un mieux-être qui engendre souvent la prise de risques pour échapper à la contrainte économique. Ce n’est nullement le cas de ce quadragénaire dont la présence au Québec s’explique par le désir de poursuivre des études universitaires de deuxième cycle, afin d’augmenter sa « valeur marchande » sur le marché du travail.  

C’est ainsi qu’il décide, avec sa femme, de quitter Haïti et de s’installer ici dans le but de continuer ses études et, du coup, de « donner une meilleure éducation » à ses deux fillettes. Il immigre au Québec dans le cadre du programme des travailleurs qualifiés du gouvernement provincial.


La sélection des travailleurs qualifiés

Le programme des travailleurs qualifiés fait partie de la catégorie d’immigration économique. Celle-ci représente l’une des trois catégories définies dans la politique migratoire du ministère québécois de l’Immigration et des Communautés culturelles. 

Si l’immigrant est appelé à vivre son quotidien et à construire sa propre expérience au-delà des catégories, la façon de vivre cette expérience est toutefois différente. En d’autres termes, le profil socioprofessionnel du nouvel arrivant influence son intégration.


Le ministère de l’Immigration définit le travailleur qualifié « comme un ressortissant étranger âgé d’au moins 18 ans qui vient s’établir au Québec pour occuper un emploi qu’il est vraisemblablement en mesure d’occuper ». Il le sélectionne sur la base de son profil socioprofessionnel répondant « aux besoins du marché du travail ».

 « Plus nous sommes qualifiés, plus nous sommes aptes à être sélectionnés, explique Valery Pierre-André, qui habite à Montréal, où le nombre de personnes nées en Haïti s’élevait à 65 140, selon le recensement de 2011. Mais les caractéristiques les mieux considérées pour être éligibles sont souvent des sources de complication de notre intégration sur le marché du travail ». 

Arrivée elle aussi en 2014, sa présence dans la province francophone est motivée par son désir d’offrir de « meilleures opportunités » à sa fille unique, qui suit actuellement le programme de Design de mode au cégep Marie-Victorin. Cette ancienne professionnelle de la santé indique que « plus on est qualifié, plus on a du mal à s’intégrer professionnellement ».