Des
professionnels déçus
Ces professionnels font partie des plus
de 95 200 immigrants accueillis par la province entre 2014 et 2016. Trois
années plus tard, ils développent pour la plupart un sentiment de déception.
Ils regrettent d’avoir quitté leur pays, leurs parents et leurs amis, mais
surtout leur emploi, qui leur garantissait une stabilité financière. Ce qui
leur fait défaut aujourd’hui, en dépit de la richesse incontestable du Québec. « Il
est vrai que j’ai pu fuir le climat politique instable et non sécuritaire de
mon pays, mais je suis totalement déçue d’avoir abandonné ma carrière professionnelle
fructueuse », dit Valéry Pierre-André.
« Je sais quand cela a commencé,
mais j`ignore combien de temps durera cette incertitude », ajoute
l`ancienne employée du secteur de la santé en Haïti. Elle fait aussi référence
à des amis et collègues qui vivent « la même situation ». Même écho chez Ronald Justin qui déclare être « agacé »
quand les employeurs parlent d’expérience québécoise pour « bloquer
l`accès au marché du travail aux nouveaux arrivants ». « Je dis
toujours aux recruteurs : l’expérience québécoise ne saurait être acquise
qu’au Québec. Donnez-moi la chance de commencer.»
En
sa qualité de travailleur qualifié, Tony Francky s’attendait à bénéficier des
services d’organismes capables de faciliter son intégration professionnelle, en
vue de valoriser ses compétences. « C’est comme si les expériences que
j’ai acquises pendant plus de dix ans ne sont pas transférables. C’est une
déception totale. » Il déplore que ses savoirs et ses diplômes ne soient plus
pris en compte, « comme c`était le cas lors de l’évaluation du dossier ».
L’intégration,
un long processus
Maison
d’Haïti, un organisme communautaire qui travaille pour l’intégration des
personnes immigrantes, est consciente des difficultés d’intégration des
immigrants haïtiens. Selon Marjorie
Villefranche, sa directrice générale, la communauté
haïtienne a enrichi le Québec de nombreux professionnels.
Plusieurs se sont illustrés par leur travail et leur talent, mais
nombreux sont ceux qui peinent encore à tirer leur épingle du jeu.
« Malgré
les succès connus par une grande partie de cette communauté, beaucoup d`Haïtiens
éprouvent d'énormes difficultés d'intégration et se retrouvent parmi les
citoyens les plus pauvres de la société québécoise », écrit Mme
Villefranche sur le site internet de Maison d’Haïti. Arrivée au Québec en 1964 à l’âge de 12 ans, elle reconnait que la nouvelle vague d’émigration des Haïtiens vers le Québec
est bel et bien différente de la première, « caractérisée par des
débuts d’intégration peu complexes et une insertion harmonieuse ».
Le
professeur
Jean Fils-Aimé a immigré au Québec à 19 ans. Il indique que l’intégration
est loin d’être une partie de plaisir pour quelqu’un dont le statut professionnel
est déjà assuré. « Les professionnels sont les pires immigrants. Leurs attentes
sont souvent si énormes qu’ils ne comprennent pas la nécessité d’une période de
transition pour affûter ce statut qu’ils avaient dans leur pays d’origine, qui
doit être mis à niveau. »
Pour Jean Fils-Aimé, qui détient un doctorat de
la faculté de théologie de l’Université de Montréal, l’immigration s’arrête au
point d’entrée, tandis que l’intégration est un processus à long terme. Dans
son intervention à la troisième édition du salon de l’emploi d’Éducomax, le
professeur explique différentes étapes à partir desquelles tout immigrant
arrive à prendre sa place dans la société d’accueil : « Comprendre la
culture et les valeurs de la société, faire preuve d’ouverture d’esprit, avoir
un projet professionnel, aller à l’école, se préparer au changement, faire du
réseautage ». Pour lui, l’art du réseautage fait souvent défaut aux
immigrants haïtiens.
« Ici au Québec, qui vous connaissez peut mieux
faciliter votre intégration que ce que vous savez », disait l`un de ses
professeurs quand il venait d’arriver au pays. Intervenant dans un panel de
quatre experts en immigration, Jean Fils-Aimé indique que le nombre d’années
passées au Québec n’est pas la condition nécessaire et suffisante pour réussir
son intégration. Le succès, selon lui, est lié à la capacité d’ouverture de
l’immigrant pour comprendre la culture québécoise et de s’y adapter. Ainsi
invite-t-il les nouveaux arrivants à élaborer un projet professionnel qui tient
compte des besoins du marché. Ils doivent aussi être prêts à l’ajuster à
l’environnement dynamique de la Belle province.
Tout
compte fait, l’intégration des immigrants au marché du travail demeure
un facteur déterminant de la réussite d’une intégration plus globale à la
société d’accueil. Or, cela représente la principale pierre d`achoppement des
professionnels haïtiens immigrés au Québec pendant les trois dernières années. Ces
travailleurs qualifiés, qui font partie des 40 % d’immigrants au Québec
détenant un grade universitaire, vivent dans des conditions socioprofessionnelles
précaires.
L’absence d’un emploi stable, en lien avec leurs compétences, un
faible revenu, le stress et la déception font partie de leurs défis quotidiens.
Ayant vécu des expériences d’intégration difficiles et douloureuses, ils développent
des perceptions négatives au sujet de l’immigration et demeurent par conséquent
craintifs quant à leur avenir socioprofessionnel.
Pourtant, le gouvernement du
Québec entend être plus que jamais ouvert aux travailleurs qualifiés. Dans un
document présentant les orientations retenues quant aux seuils d’immigration
pour la période 2017-2019, la province prévoit diminuer les taux de chômage
chez les nouveaux arrivants, toujours beaucoup plus élevés que dans la population
générale. Ce, pour une « participation accrue des personnes immigrantes à
la société ».
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